Isolée dans l’œuvre de Claudel comme un nez rouge au milieu de la figure,cette farce potache baigne dans une atmosphère féerique où secôtoient poésie et burlesque. Débridé, Claudel s’est amusé à démystifier son image d’auteur austère (« Je suis ravi, écrit-il, du scandale causé par Protée. Rien n’est plus désagréable et chatouillant qu’une auréole d’apôtre à  l’occiput et je suis enchanté d’avoir réussi à l’endommager »). Le style et la langue de Claudel confèrent à cette pièce une dimension baroque de démesure et de folie, à mi-chemin entre « Le Songe d’une Nuit d’Été » et « La Tempête » de Shakespeare. Claudel y démystifie à cœur joie les héros grecs. Il invente une île fantastique peuplée de satyres et autres gnomes malins. Imprévisible, il s’amuse même à faire intervenir des phoques. Ici, rien de sérieux. « L’île, indique Claudel, ne doit jamais cesser d’être l’île de la fantaisie. La pièce a besoin d’inventions débridées ».Il fallait donc s’attacher à faire découvrir cet aspect ludique de l’auteur. Le travail qu’effectue la Compagnie Saturne Pas Rond coïncide avec cet esprit « potache ». Une partie du plaisir de ses mises en scène provient du fait que le spectateur ne se demande plus uniquement « que vont-ils faire ? » mais également « comment vont-ils le faire ? ».